texte de la conférence donnée par le Père Stanislas dans le cadre des rencontres du Jeudi.
Vouloir ce que Dieu veut
Père Stanislas Stawicki
D’où vient le titre ?
De la prière finale de l’office des vêpres (à la veille) du XXIX dimanche du Temps Ordinaire. La voici : « Père éternel et tout-puissant, fais-nous toujours vouloir ce que tu veux et servir ta gloire d’un cœur sans partage ».
La formule est provocante. Pourtant, toute la tradition spirituelle témoigne du bonheur fécond et de la liberté accrue qu’il y a à chercher et à faire la volonté de Dieu. Je vous donne un exemple. Il vient de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.
« Ici-bas, rien ne peut nous satisfaire, on ne peut goûter un peu de repos qu’en étant prête à faire la volonté du Bon Dieu » – écrit Thérèse. Et elle conclue malicieusement : « J’ai toujours fait la volonté de Dieu sur la terre ; il fera la mienne au ciel » (Thérèse de l’Enfant Jésus, lettre du 25 novembre 1887).
Je ne sais pas si la Petite Thérèse (1873-1897) lisait Malherbe, François de Malherbe (1555-1625), poète officiel des rois Henri IV et Louis XIII, car c’est bien Malherbe qui écrivait trois siècles avant la sainte de Lisieux (je le cite) : « Vouloir ce que Dieu veut est la seule science qui nous met en repos » (François de Malherbe, VI, 18).
Vouloir ce que Dieu veut a donc quelque chose à avoir avec l’art de la consolation. « Goûter un peu de repos » – disait Thérèse. Le repos ne se trouve pas pour elle dans les plaisirs et les joies de ce monde, mais dans l’abandon à la volonté de Dieu, que cela soit souffrance, comme joie. D’ailleurs, Jésus était le premier à faire de la volonté de Dieu sa nourriture quotidienne. « Ma nourriture, dit-il, c’est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé » (Jn 4, 34).
Et quelle est la volonté de Dieu ?
Jésus lui-même et saint Paul nous en parlent explicitement :
-
« Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. Or, telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé : que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour. Telle est la volonté de mon Père : que celui qui voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (Jean 6, 38-40).
-
Ou encore chez l’évangéliste Jean nous lisons : « Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jean 3, 17).
-
« Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité ». (1 Tm 2, 4).
Mais comment savoir ce que Dieu veut que je fasse dans le concert de ma vie ?
Il m’arrive de temps en temps de rencontrer des personnes qui disent : « J’ai un choix à faire, mon père! Je veux faire la volonté de Dieu, et je ne voudrais pas me tromper! Mais, voilà, je ne sais pas ce que Dieu attend de moi dans cette situation concrète! Alors je viens vous voir pour que vous m’aidiez à savoir en toute certitude ce que Dieu veut de moi ».
Vous devinez que la question est embarrassante. Elle est embarrassante, car elle est mal posée. Y répondre est donc impossible! La seule réponse que je peux donner à la question ainsi posée – c’est de dire à cette personne : « Ce que Dieu attend de toi, ce n’est pas que tu choisisses telle ou telle voie qu’il aurait prévue de toute éternité pour toi. Ce que Dieu attend de toi, c’est que tu créées aujourd’hui ta réponse à sa présence et à son appel »! Oui, « Dieu nous a crée créateurs » – François Varillon ; « Dieu nous invente avec nous » – Emmanuel Mounier.
Voyez-vous! Il ne s’agit donc pas d’accomplir un programme préétabli, mais de faire naître une réponse, compte-tenu de ce que tu es, de ton passé, de ton histoire, de tes responsabilités actuelles, de la perception que tu peux avoir des besoins de l’Eglise, besoins de ta communauté, ou de ta famille. Dans ce sens, il n’est pas juste et exacte de parler d’une volonté particulière de Dieu sur chacun de nous. Il est plus exact de parler d’une réponse personnelle de chacun de nous au désir de Dieu.
Faire naître une réponse pareille suppose évidement d’entrer dans un processus de discernement. Valérie en parlera plus largement ! Je voudrais amorcer ce thème avec vous, en abordant trois petits points: premièrement, ce que dit la tradition spirituelle au sujet du discernement; deuxièmement, au sujet des sources de discernement ; troisièmement, à propos de quelques repères pour prendre vos décisions.
-
La tradition spirituelle au sujet de discernement
La tradition spirituelle parle du discernement dans un double contexte: celui du discernement des esprits dans la prière, et celui que le saint pape Jean XXIII a appelé « les signes des temps ».
En ce qui concerne le discernement des esprits dans la prière, il s’agit tout simplement d’être attentif à ce qui se passe dans notre prière: aux inspirations, aux désirs, aux sentiments, aux projets qui se présentent à nous lorsque nous méditons la Parole de Dieu, pour voir s’ils viennent vraiment de Dieu et s’imposent à nous comme un appel à suivre.
Je voudrais vous donner ici l’exemple qui vient de la tradition ignatienne, car c’est justement saint Ignace de Loyola qui a élaboré au sein de l’Eglise des règles pour nous aider à discerner parmi les mouvements intérieurs qui nous agitent dans la prière, les appels qui viennent de Dieu, de ceux qui ne viennent pas de Dieu.
Ignace les appelle « les motions ». C’est un terme très peu utilisé aujourd’hui, parce qu’il ne signifie pas grand-chose pour nos contemporains. Aujourd’hui on aime parler plutôt de sentiments ou d’émotions. Ces mots nous sont plus familiers. Cependant, ces deux mots ne couvrent pas tout à fait les mêmes réalités que celles évoquées par l’idée de motions chez Ignace.
En principe, une motion se manifeste par une réflexion, une image née d’une lecture d’une situation qui fait « écho » en nous. Ainsi, à la lecture de la Bible ou d’un livre spirituel – les mots y employés, les situations y décrites – me font « bouger », font bouger quelque chose en moi, dans mon esprit. Je suis d’accord ou pas; je comprend ou je m’interroge, j’éprouve de la satisfaction ou de l’inquiétude.
De même, pendant la prière, mais aussi dans la vie de tous les jours, les situations vécues font monter à ma conscience des pensées et des images. Ce qui importe alors, si vraiment nous cherchons la volonté de Dieu, c’est d’apprendre à discerner les motions. Voilà pourquoi Ignace propose (je le cite): « Des règles pour sentir et reconnaître en quelque manière les diverses motions qui se produisent dans l’âme, les bonnes pour les recevoir et les mauvaises pour les rejeter ».
Le second contexte dans lequel la tradition spirituelle parle du discernement, est celui que le saint pape Jean XXIII a appelé « les signes des temps », c’est-à-dire les appels qui peuvent nous venir des événements, des différentes expériences et des rencontres que nous sommes appelés à vivre…, et à travers lesquelles l’Esprit Saint peut aussi nous faire signe.
Il s’agit alors de porter sur la vie, sur les événements et sur toutes ces variées expériences et rencontres que nous sommes en train de vivre un regard de foi; essayer de tout voir dans la lumière de l’Evangile pour discerner ce qui dans nos actions et réactions construit le Royaume de Dieu.
-
Les sources de discernement
Le discernement spirituel n’est pas d’abord une technique que l’on peut apprendre et livrer ensuite aux autres. Autrement dit, on ne se forme pas au discernement à travers des techniques d’analyse. Exercer le discernement c’est:
-
d’abord se disposer à se laisser guider par l’Esprit Saint,
-
ensuite, vivre dans un climat de prière (non seulement faire des prières, mais « prier jour et nuit »),
-
enfin, chercher à recevoir la volonté de Dieu dans une perspective de foi.
De ce point de vue le discernement spirituel peut avoir trois sources essentielles :
-
La Parole de Dieu (Méditation, Lectio Divina…)
-
La vie de l’Eglise (Magister, les sacrements, la vie des saints,…)
-
L’attention au réel (événements, besoins de l’Eglise et de l’humanité…)
Première source: La Parole de Dieu. Il s’agit de s’imprégner de l’esprit de Jésus par la méditation de l’Evangile; c’est là où nous pouvons trouver la volonté de Dieu, le vouloir de Dieu sur nous. On peut donc dire que seulement ceux et celles qui font de l’Evangile leur pain quotidien, vivent et agissent selon le vouloir de Dieu (selon l’Esprit de Dieu). On ne peut pas connaître (discerner) la volonté de Dieu sans une familiarité avec la Parole de Dieu; sans contempler les gestes et les parole de Jésus dans les Evangiles.
Le cardinal Carlo Maria Martini (+ 31/08/2012) un grand bibliste italien, écrit : « Seuls ceux qui perçoivent la Parole de Dieu dans leur cœur, sauront répondre aux questions personnelles par de justes décisions ». Autrement dit, l’Evangile ne nous dictera pas le choix, mais il ouvrira à notre désir des horizons.
Seconde source de discernement, c’est la vie de l’Eglise. Il s’agit de vivre et d’agir en communion avec l’Eglise; il s’agit de la fidélité à Pierre et à l’Eglise: le fameux Sentire cum Ecclesia, c’est-à-dire « sentir avec l’Eglise » et dans l’Eglise. Il s’agit d’entrer dans l’enseignement et la tradition de l’Eglise: les sacrements, les dogmes, la vie des saints, les différentes écoles spirituelles, et tout ce que ces écoles disent, par exemple, au sujet de discernement spirituel. Il s’agit aussi de prier avec l’Eglise : par exemple la Liturgie des heures.
Troisième source: l’attention au réel. Je ne peux pas chercher et trouver la volonté de Dieu en dehors de mon histoire, contexte dans lequel je vis, les besoins de l’Eglise et de l’humanité, les questions de l’homme d’aujourd’hui. C’est dans cette attention vigilante aux problèmes, les défis et les aspirations de l’époque et de l’homme concret que le discernement est possible.
Blaise Pascal (1623-1662) disait : « Les événements sont des maîtres que Dieu nous donne pour nous aider à le servir ». On n’a pas toujours bien compris la phrase de Pascal. Les événements ne sont pas un cadre où Dieu nous enferme; ce ne sont pas les événements qui font le saint. Ils sont le matériau qui nous est donné pour construire notre réponse. La réponse portera la marque du matériau utilisé, mais plus encore celle de l’architecte que nous sommes et qui en a la responsabilité. Ce qui importe, c’est donc la réponse personnelle que tu feras naître à partir de ces événements. L’amour peut faire jaillir la sainteté dans les pires contextes humains : le témoignage de ceux qui ont consacré leur vie à l’amitié des marginaux et des exclus ne cesse de nous le rappeler.
Pour conclure ce point sur les trois sources de discernement, je voudrais dire que ces trois sources sont inséparables. Elles s’interpénètrent mutuellement. C’est en vivant au confluent de ces trois sources que nous sommes capables de vouloir ce que Dieu veut !
Pour votre réflexion personnelle, je vous invite à vous interroger sur ces trois sources de discernement: la Parole de Dieu, la vie de l’Eglise et l’attention au réel. Est-ce que je puise vraiment au confluent de ces trois sources en cherchant à vouloir ce que Dieu veut ?
-
Comment prendre mes décisions ?
Pour finir cette réflexion sur l’art de vouloir ce que Dieu veut, je voudrais vous proposer quelques point de repères pour prendre vos décisions. En effet, nous prenons des décisions depuis le moment où nous ouvrons les yeux jusqu’à ce que nous décidions de nous coucher. En voici quelques conseils qui viennent de la tradition spirituelle ignatienne.
1. NE PAS PRENDRE DE DÉCISION SI ON SE SENT VULNÉRABLE
Une personne ne peut pas prendre de sages décisions lorsqu’elle est envahie par des émotions fortes. Quand vous êtes dans un déséquilibre émotionnel, que vous broyez du noir ou que vous êtes confus, ne prenez pas de décision de manière impulsive. Les décisions prises dans ces moments sont toujours mauvaises, car les émotions sont de nature passagère et changeante. Attendez de retrouver le calme intérieur et de voir la situation de manière plus rationnelle. Les bons choix mûrissent dans le calme et la patience.
2. FAIRE UNE LISTE DES AVANTAGES ET DES INCONVÉNIENTS
Réfléchissez aux avantages et aux inconvénients de la décision que vous vous apprêtez à prendre et écrivez-les sur une feuille. De cette façon, vous verrez de manière claire laquelle des options envisageables prédomine le plus, et cela vous permettra d’avoir une vision plus réaliste et objective des possibles scénarios.
3. ADOPTER LA SAINTE INDIFFÉRENCE
Selon saint Ignace, la sainte indifférence est une manière de se détacher d’un choix à prendre, de manière provisoire, afin que le Saint Esprit puisse souffler et vous diriger vers la meilleure décision. La sainte indifférence consiste à ne pas s’attacher à une option plutôt qu’à une autre et à laisser émerger la volonté de Dieu en soi. Lorsque vous renoncez à votre propre volonté, le désir qui demeure dans le cœur coïncide avec la volonté de Dieu.
4. CHERCHER LA GLOIRE DE DIEU
Il est important de réfléchir laquelle option, parmi celles qui vous sont présentées, rendra le plus gloire à Dieu. En effet, c’est là la finalité de toute action, et c’est en cherchant la gloire de Dieu que la décision entre deux chemins sera plus facile à prendre.
5. S’ABANDONNER À DIEU
Dieu sait ce qui est le mieux pour vous et recherche toujours votre bien-être. N’oubliez donc pas de faire équipe avec Dieu : faites votre part, mais remettez tout entre ses mains, parce que Lui seul à la bonne réponse. Présentez-lui ce qui vous préoccupe dans la prière et au bon moment, Dieu vous fera comprendre le bon choix.
-
Trois signes qui montrent qu’on a pris la bonne décision.
À la toute fin d’une démarche de discernement, il est bon de demeurer attentif à certains signes qui peuvent infirmer ou confirmer une décision. En voici trois signes mis en lumière par plusieurs maitres spirituels, et notamment saint Ignace de Loyola : la joie intérieure, la paix intérieure, et une forme de facilité dans la mise en œuvre de la décision.
Quant à la joie intérieure, le premier signe qui confirme que la décision prise est la bonne, elle réside dans ce que saint Ignace appelle la consolation spirituelle. C’est un certain mouvement qui se produit dans mon âme et qui procure de la joie. « J’appelle consolation tout accroissement d’espérance, de foi et de charité, et toute allégresse intérieure qui appelle et attire aux choses célestes et au salut propre de l’âme, l’apaisant et la pacifiant en son Créateur et Seigneur », écrit saint Ignace.
Cette joie, cette consolation spirituelle est un mouvement intime qui touche au plus profond de nous-mêmes. Elle n’est pas ostentatoire, mais douce, délicate, comme « une goutte d’eau sur une éponge » (une métaphore utilisée par saint Ignace).
A l’inverse, saint Ignace appelle désolation cet état d’agitation, de tristesse, d’ennui, de paresse, de division intérieure. Comme si nous étions séparés de Dieu.
Il est très utile de savoir identifier ces deux états car cela permet de confirmer ou non une décision. Car une fois la décision prise, il s’agit de repérer l’effet de la décision : conduit-elle à un état de consolation ? Ou à un état de désolation ? Si c’est l’effet de consolation, cela confirme la décision et je continue dans la même direction. Si c’est un effet de désolation, je fais marche arrière ou je prends un autre chemin.
Mais saint Ignace précise en même temps que, pour être véritable, cette consolation doit être durable. Il ne peut s’agir d’une joie éphémère.
Quant à la paix intérieure, de même qu’une joie durable est le signe d’une bonne décision, une paix qui dure dans le temps l’est aussi. Une paix qui apporte harmonie, unité, ferveur, zèle et qui dure dans le temps. L’âme est en paix, avec elle-même et avec le monde. C’est aussi une paix qui donne la conscience d’être à sa juste place dans la vie. Elle octroie une certaine « tranquillité d’esprit ». L’être humain peut alors reconnaître qu’il a trouvé ce qu’il cherche lorsque sa journée devient plus ordonnée, qu’il perçoit une intégration croissante entre ses multiples centres d’intérêt, qu’il établit une correcte hiérarchie d’importance et qu’il réussit à vivre cela avec facilité.
Et finalement, une certaine facilité dans la mise en œuvre de la décision.
Une fois que la joie, la paix sont ressenties de manière profonde et durable, et que tous les éléments semblent s’accorder pour faciliter la mise en œuvre d’une décision, reste à engager sa liberté et poser un choix. En effet, il ne suffit pas de prêter attention à ses mouvements intérieurs. L’objectif est bien de rejeter les mauvaises motions, et de recevoir les bonnes. Eh bien, saint Ignace écrit que « le propre du bon esprit est de donner courage et forces, en rendant les choses faciles et en écartant tous les obstacles, pour qu’on aille plus avant dans la pratique du bien ». Et c’est bien ça la relative facilité dans la mise en œuvre de la décision. Ce qui paraissait difficile, insurmontable, devient finalement simple et facile. Tout se passe comme si les obstacles s’évanouissaient d’eux-mêmes.
La connaissance spirituelle est vaine si elle n’a pas de conséquences sur l’engagement de notre vie, si elle ne se traduit pas en décisions. Telle pensée que j’ai repérée comme mortifère, je ne l’écoute plus ; telle pensée que j’ai perçue comme venant de Dieu, je la suis.
Et si je me trompe ?
Vous pensez ne pas avoir pris la meilleure décision ? Ne vous inquiétez pas ! Dieu ne vous abandonnera pas, même dans les moments les plus difficiles. Au contraire, il est particulièrement présent dans les difficultés et l’adversité. N’oubliez pas que vous pouvez toujours apprendre de chaque situation que vous vivez. Vous avez simplement besoin de faire confiance à Dieu, de Lui demander de vous montrer le chemin et la manière dont, par vos actions, vous Le servirez davantage, car c’est la clé de tout.