Jésus, homme et maître de la prière

La prière à l’école des grands priants

Le 21 janvier dernier, le pape François a proposé à l’Eglise universelle de mettre l’année 2024 sous le signe de la prière, et ceci pour nous préparer à la prochaine Année Sainte : le Jubilé de l’an 2025. Ce type de Jubilé où les chrétiens sont invités à se rendre à Rome pour raviver leur foi est organisé quatre fois par siècle, et ceci depuis XIV siècle. En effet, le tout premier jubilé fut décrété en 1300 par le pape Boniface VIII.

« La lampe de la foi sera toujours allumée sur la terre tant qu’il y aura l’huile de la prière – disait le Pape à cette occasion. Et il ajoute : « Sans la foi, tout s’écroule; et sans la prière, la foi s’éteint ». Dans ce contexte, il a exprimé son rêve pour l’année en cours. Le voici : « Je vous demande d’intensifier vos prières pour vous préparer à bien vivre cet événement de grâce. Je rêve d’une grande symphonie de prière en 2024 » !

Pendant les Conférences de Carême à Saint Jacques – Saint Christophe, nous tâcherons donc d’entrer modestement dans cette « grande symphonie de prière ». Nous allons aborder ce thème de manière suivante :

  • Chaque dimanche une réflexion autour de la prière à l’école des grands priants ;

  • Suivie d’un temps de la prière individuelle (adoration du Saint Sacrement en silence)

  • Et un temps de la prière communautaire (les vêpres chantés ensemble).

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Jésus, homme et maître de la prière

L’évangéliste Luc est celui qui mentionne le plus souvent la prière de Jésus. On peut dire qu’il nous aide mieux que les autres évangélistes à saisir l’unité sous-jacente qui existe entre :

  • ce que Jésus dit sur la prière,

  • ce qu’il dit dans la prière,

  • ce qu’il vit aux moments privilégiés où nous le voyons en prière.

C’est donc Luc qui va nous guider dans notre petite enquête de ce premier dimanche de Carême autour de Jésus, en tant que « homme et maître de la prière ». Je commence en repérant quelques lieux où Luc utilise le verbe « prier » au sujet de Jésus.

  • Tout d’abord Luc parle de la prière dont Jésus est le sujet au moment du baptême dans le Jourdain : « Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie » (3, 21-22).

  • Ensuite, après la pêche miraculeuse et la purification d’un lépreux. Il est dit que Jésus était dans les déserts, et il priait (5, 16);

  • Puis, pendant son ministère en Galilée : il passe la nuit en prière avant de choisir les douze apôtres (6, 12);

  • Quatrièmement, avant la confession de Pierre (« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ») deux fois Jésus est montré en prière (9, 18) ;

  • Cinquièmement sur la montagne de la Transfiguration : Luc nous dit que Jésus prend avec lui Pierre, Jean et Jacques, et monta sur la montagne pour prier (9, 28).

  • Un peu plus loin, au 11 chapitre, lors du voyage vers Jérusalem, en voyant Jésus prier, un de ses disciples lui demande de leur enseigner à prier: « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples » (11, 1).

  • Enfin, Jésus prie avec insistance son Père au jardin de la tentation (22, 42).

Voilà les sept lieux où Luc utilise le verbe « prier » dont Jésus est le sujet. Sept est évidemment le chiffre de la plénitude (le chiffre de la totalité).

Toutefois, cette première enquête est un peu frustrante. Pourquoi ? Parce que les six premières fois, Luc dit que Jésus prie, mais il ne rapporte pas ses paroles. Il faut attendre la dernière fois (la prière au jardin de la tentation) pour entendre les mots que Jésus adresse à Dieu: « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne » (22, 42).

Il est heureusement d’autres lieux où l’on entend Jésus prier, sans que le verbe « prier » soit utilisé. Ainsi,

  • Crucifié, il prie par deux fois : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » (23, 34) ; et puis ses derniers mots: « Père, en tes mains je remets mon esprit » (23, 46). Ces deux prières ont certainement une fonction de modèle pour nous : l’abandon entre les mains du Père et le souci des frères dont on demande au Père le pardon pour le mal subi. Quand nous souffrons de ne pas pouvoir pardonner, c’est là un soulagement immense de savoir que nous pouvons « prier pour nos ennemis » : au moins cela! Et ce n’est pas rien, puisque Jésus l’a fait.

  • Mais ce n’est pas tout. Sa prière la plus longue se trouve au chapitre dixième. Les disciples qu’il avait envoyés en mission reviennent tout joyeux. Alors « à cette heure-là, Jésus exulta dans l’Esprit Saint et dit: « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux savants et d’avoir révélé cela aux tout-petits » (10, 21). Après quoi, il bénira ses disciples en disant: « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez. Je vous dis que beaucoup de prophètes et de rois auraient voulu voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez et ne l’ont pas entendu » (10, 23-24).

  • Et finalement la fin de l’Évangile de Luc. Jésus bénit ses disciples au moment de les quitter : „Jésus les emmena au dehors, jusque vers Béthanie ; et, levant les mains, il les bénit. Or, tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et il était emporté au ciel » (24, 50-52). C’est très beau. Jésus « bénit » ses disciples comme Jacob qui bénit ses douze fils avant de mourir (Genèse 49) ou comme Moïse qui bénit les douze tribus d’Israël avant de disparaître (Deutéronome 33). Tel est le dernier mot de l’Évangile de Luc.

On aurait pu s’arrêter là. Mais je voudrais encore dégager avec vous et pour vous quelques caractéristiques de la prière chrétienne à partir de la prière de Jésus. Quelqu’un disait (d’une manière un peu provocante) : « Jésus n’enseigne pas à prier, il se donne à ses disciples comme prière ; il se transmet comme prière et, dès lors, il leur transmet sa prière ». Eh bien, partant de l’exemple de Jésus, nous pouvons tirer certaines caractéristiques de la prière chrétienne. Lesquelles ?

Tout d’abord, dans la vie chrétienne, et donc celle à la suite du Christ, la prière possède un primat: elle est le premier désir de la journée ; quelque chose que l’on pratique à l’aube, avant que le monde ne se réveille. Celle-ci donne une âme à la journée. La prière est tout d’abord écoute de la réalité et rencontre avec Dieu. Dans ce sens les problèmes de tous les jours ne deviennent pas des obstacles, mais des appels de Dieu. Les épreuves de la vie se transforment ainsi en occasions pour grandir dans la foi et dans la charité. La prière a le pouvoir d’ouvrir un grand horizon à l’esprit et d’élargir le cœur.

En deuxième lieu, la prière est un art à pratiquer avec insistance. Jésus lui-même nous dit: « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira » (Mt 7, 7). Il s’agit donc de demander, de chercher, de frapper ! Nous sommes tous capables de prières épisodiques, qui naissent de l’émotion d’un moment; mais Jésus nous éduque à un autre type de prière: celle qui connaît une discipline, qui est un exercice insérée et pratiqué dans un rythme régulier de vie. En effet, une prière persévérante produit une transformation progressive ; elle rend forts dans les périodes de tribulation et donne la grâce d’être soutenus par Celui qui nous aime et nous protège toujours.

Une troisième caractéristique de la prière de Jésus est la solitude. Celui qui prie ne s’évade pas du monde, mais il privilégie les lieux déserts. Là, dans le silence, peuvent apparaître de nombreuses voix que nous cachons au plus profond de nous-mêmes: les désirs les plus cachés ou les vérités que nous nous obstinons à étouffer. Et, surtout, surtout dans le silence Dieu parle. Chaque personne a besoin d’un espace où elle cultive sa propre vie intérieure ; où les actions retrouvent un sens. Sans vie intérieure nous devenons superficiels, agités et angoissés. Sans vie intérieure, nous fuyons également la réalité et nous nous fuyons nous-mêmes. Voilà pourquoi nous devons pratiquer la prière dans la solitude.

Enfin, la prière de Jésus est le lieux où l’on perçoit que tout vient de Dieu et retourne à Lui. Parfois, nous croyons être les maîtres de tout, ou bien au contraire nous perdons toute estime de nous-mêmes. Nous allons d’un côté et de l’autre. La prière nous aide à retrouver la juste mesure (la juste dimension), le juste équilibre dans notre relation avec Dieu, avec les autres et avec toute la création.

Je vous invite donc pendant ce temps de Carême, à redécouvrir dans les Evangiles, et notamment dans l’Evangile de Luc, Jésus Christ comme homme et maître de la prière, et de nous mettre à son école.

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Je vais maintenant exposer le Saint-Sacrement pour un temps de la prière silencieuse, une prière d’adoration. C’est un cœur à cœur avec le Seigneur. Le saint Curé d’Ars disait : « Je l’avise et il m’avise ». Or, revenir au cœur signifie revenir à notre vrai moi et le présenter tel qu’il est : nu et dépouillé, devant Dieu. Cela signifie regarder en nous-mêmes et prendre conscience de ce que nous sommes vraiment, en nous débarrassant des masques que nous portons si souvent.

« En ces six semaines de Carême – disait le pape François le Mercredis des Cendres, faisons place à la prière d’adoration silencieuse, dans laquelle nous restons à l’écoute de la présence du Seigneur. Revenons à l’adoration. Prêtons l’oreille du cœur à Celui qui, dans le silence, veut nous dire : « Je suis ton Dieu : Dieu de miséricorde et de compassion, le Dieu du pardon et de l’amour, le Dieu de la tendresse et de la sollicitude ».

Le temps de carême est une invitation à un « voyage de l’extérieur vers l’intérieur », a continué le Pape. Il doit nous faire descendre de la « scène fictive » sur laquelle nous tendons à jouer, vers l’intérieure de nous-mêmes, parce que la vie n’est pas une pièce de théâtre. Voilà pourquoi je vous encourage à cultiver pendant ce temps de Carême la pratique de l’adoration silencieuse pour prendre soin de votre vie intérieure et résister à la superficialité du monde ».

Père Stanislas