XVI dimanche – Mt 13, 24-43
La parabole est un récit qui depuis toujours fascine les croyants, les philosophes et les poètes. Chaque religion en possède un certain nombre. Les paraboles rabbiniques et celles des évangiles sont les plus connues.
On retrouve principalement ces petites histoires imagées sur les lèvres des sages et des maîtres, lors d’un enseignement ou d’une explication/réponse à la question d’un disciple qui demande conseil ou qui lance une controverse.
En ce qui concerne les paraboles évangéliques, il y a essentiellement trois raisons pour lesquelles Jésus les raconte :
Premièrement: il fait comme les rabbins, les maîtres de son temps, c’est-à-dire il enseigne en racontant des histoires ;
Deuxièmement: Jésus cherche à parler dans le langage de la vie quotidienne, puisque la plupart de ses auditeurs ce sont des gens simples et illettrés;
Et finalement: Jésus parle en paraboles, car une parabole fait toujours réfléchir. Elle a pour objectif de provoquer et de stimuler nos cellules grises. Autrement dit, la parabole n’est pas un simple discours ; elle est une sorte d’espace qui accueille une question pour la renvoyer, modifiée, à celui qui la pose. Et tout cela pour aider celui qui la pose à se remettre debout ! Oui, les paraboles sont précisément cela : des histoires capables d’enchanter, de guérir, de faire passer le croyant de la mort à la vie.
Après cette petite introduction d’ordre général, passons aux paraboles de ce dimanche, et notamment à celle du bon grain et de l’ivraie. Les serviteurs du maître vinrent lui dire : « N’est-ce pas du bon grain que tu as semé ; d’où vient donc qu’il y a de l’ivraie »? En répondant à leur question, le maître les invite à en tirer deux leçons :
La première est liée à leur capacité d’observation. Au lieu de s’inquiéter parce que les choses ne sont pas conformes à leurs vues, les serviteurs devraient remarquer que l’ivraie n’empêche pas le blé ni de grandir ni de mûrir. Autrement dit : la moisson sera bonne ! En effet, à deux reprises Jésus insiste sur l’irrésistible croissance du Royaume en racontant deux petites paraboles supplémentaires : celle de la graine de moutarde, la plus petite de toutes les semences qui devient un arbre où les oiseaux du ciel trouvent leur abri ; et celle du levain, caché dans trois mesures de farine qui fait lever toute la pâte.
En d’autres mots, la présence d’ivraie dans le champs ne doit pas nous inquiéter. Malgré la zizanie semée par ce virtuose qu’est le diable qui s’en mêle, la moisson sera bonne. « Tout finira bien » – disait Jésus dans une apparition à la bienheureuse Julienne de Norwich, une religieuse et mystique anglaise. « Une fois entrée dans l’éternité, tu verras que si nous confions à l’amour de Dieu nos désirs les plus purs, nous ne serons jamais déçus. Tout ira bien ».
La deuxième leçon donnée par Jésus, est une assurance que le tri sera fait au moment opportun. En effet, le maître invite ses serviteurs à résister au désir d’une justice immédiate et radicale ; il les invite à la patience. Le livre de la Sagesse, que nous avons entendu dans la première lecture de ce dimanche, le dit fort bien : « Mais toi, Seigneur, qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement ». Oui, la preuve de la toute-puissance de Dieu est dans sa patience. Et sa patience est longanimité et miséricorde.
Et pour finir, une question que la parabole de ce dimanche nous pose : « Quelle attitude devons-nous adopter face au mal » ?
En effet, Jésus ne cherche pas à répondre à la question : « d’où vient le mal » ? Il se préoccupe bien plus de nous montrer la bonne attitude à adopter face au mal. Et quelle est cette attitude ?
Vous connaissez mieux que moi ce proverbe français qui commande de ne pas mélanger les torchons et les serviettes (« Il ne faut pas mélanger torchons et serviettes »).
Eh bien, l’Évangile est plus nuancé ! Les torchons et les serviettes, l’ivraie et le bon grain, les sales types et les saints peuvent être mélangés, au moins pour un temps.
Ainsi, à notre époque qui dresse des frontières morales et idéologiques infranchissables entre les bons et les méchants, Jésus adresse deux avertissements:
Le premier : seul Dieu est capable de discerner avec certitude qui mérite le bonheur éternel. Autrement dit, aucun homme n’est fondé à se mettre à la place de Dieu pour juger du sort définitif d’un autre homme car aucun homme ne connaît le cœur de son prochain comme Dieu le connaît.
Le second : même Dieu ne jugera qu’à la fin des temps. Car l’homme est changeant. L’homme est versatile : capricieux et inconstant. C’est sa faiblesse. Mais c’est aussi sa chance, parce que jusqu’à son dernier souffle, il peut se laisser toucher par la grâce de Dieu.
Est-ce à dire qu’il faut être passif face au mal, ne pas réagir aux scandales, rester silencieux face aux abus divers ? Ce n’est certainement pas ce que Jésus nous suggère en disant : « Ne les arrachez pas. En arrachant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps ». Jésus cherche plutôt à stopper notre impatience qui conduit à un radicalisme néfaste. Oui, il nous faut accepter que le péché soit présent à côté du bien, jusqu’à la fin du monde, aussi bien dans nos familles, dans la politique, dans l’Église ou en nous-mêmes.
A Luther, architecte de protestantisme, qui reprochait à Erasme de Rotterdam de rester dans l’Eglise catholique malgré sa corruption, ce dernier répondit: « Je supporte cette Eglise dans l’espérance qu’elle devienne meilleure, car elle aussi est obligée de me supporter dans l’attente que je devienne meilleur ». Celui qui a des oreilles, qu’il entende !