Homélie du 26 février 2023 – Père Stanislas Stawicki
1e dimanche de Carême – Mt 4, 1-11
La connaissance de soi est certainement une entreprise très exigeante car « le cœur de l’homme est compliqué et malade » – constate l’Ecclésiaste (9, 3). Et le psalmiste d’ajouter : « Le cœur de l’homme est un abîme profond » (Ps 64, 6). Voilà pourquoi nous n’arrivons presque jamais à comprendre pleinement qui nous sommes. Pourtant, il suffit parfois de scruter nos choix, nos comportements et nos réactions. Ils parlent de nous. En fait, la vie nous teste ; elle est un lieu d’épreuve permanant face auquel nous nous révélons tels que nous sommes. C’est précisément ce dont il est question dans l’Évangile de ce premier dimanche de Carême. En effet, le mot « tentation » signifie littéralement : « être mis à l’épreuve ».
Chères frères et sœurs,
L’évangile de ce dimanche nous apprend tout d’abord que la tentation vient du diable. En elle-même, elle n’est pas un péché. Le péché commence dès l’instant où l’on prête l’oreille à la tentation ; où on la laisse s’introduire en nous ; où l’on commence à dialoguer avec elle et y consentir.
Ensuite, le récit des tentations de Jésus au désert nous apprend que la tentation concerne toujours notre vie quotidienne. Ce n’est pas un hasard si la première tentation de Jésus concerne la nourriture. Une chose éminemment quotidienne. Plus précisément, le diable veut provoquer Jésus à penser à lui-même plutôt que penser aux autres. Ainsi, il l’incite à apaiser d’abord sa propre faim. « Tu en as le droit » – lui suggère le diable.
Nous aussi, nous sommes souvent tentés de penser d’abord à nous-mêmes, comme si c’était un signe de maturité, d’autonomie et « de la charité bien ordonnée » – ajoutent certains en citant le fameux dicton : « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Ce qui veut dire : Je ne dis pas que je ne me soucie pas des autres, mais j’y penserai après m’être occupé de mes propres faims et intérêts. Jésus rejette cette logique. Il mangera si et quand les autres pourront manger aussi.
La deuxième tentation concerne la relation avec Dieu, et plus généralement la manière de vivre nos relations. Je m’explique. Lorsque nous nous sentons en sécurité dans une relation, nous avons tendance à en profiter. Nous mettons l’autre à l’épreuve. Nous tirons sur la corde, comme pour mesurer jusqu’où va son amour.
Cette dynamique est celle d’un enfant qui fait des crises de colère pour voir jusqu’où il peut aller avec ses exigences. Hélas, beaucoup de relations des personnes soi-disant adultes sont établies sur cette même dynamique. Ce sont des relations enfantines, et c’est bien cela que le tentateur suggère à Jésus. Il lui suggère de se servir de Dieu plutôt que de le servir, tout comme nous nous servons souvent des autres plutôt que de les servir avec amour. Eh bien, lorsque dans notre relation avec Dieu nous posons des exigences et le défions par des pressions, nous avons déjà succombé à la tentation.
La troisième tentation est la plus ambiguë, car elle propose d’atteindre une bonne fin à travers une logique mauvaise selon le fameux adage « La fin justifie les moyens ». On attribue souvent cette formule à Machiavel, bien qu’il ne l’ait jamais exprimée telle quelle, car sa philosophie politique va beaucoup plus loin. Elle suggère l’absence absolue de tout scrupules. Tandis que dans le cas de la 3e tentation il s’agit d’un compromis avec le mal. Pas forcement tout de suite se prosterner devant le diable, mais lui dire un petit bonjour, juste en passant. Eh bien, Jésus refuse tout compromis. Il choisit de sauver le monde par une autre logique, celle de l’amour « jusqu’à la mort, et à la mort de la croix » – nous dira saint Paul Apôtre.
Et encore une petite chose.
Dans l’éditorial de notre « feuille paroissiale » pour ce premier dimanche de Carême je pose une question: « Le diable : mythe ou réalité » ? Pour les uns, le diable est évidement à ranger dans le dictionnaire des symboles, car il témoigne d’une mentalité religieuse préscientifique à laquelle la raison ne saurait porter le moindre crédit. Pour les autres, il est tellement réel que « sa plus belle ruse est de nous persuader qu’il n’existe pas » – constate subtilement Baudelaire.
Alors, le diable existe-t-il : oui ou non ?
Je vous donne un exemple. Cette semaine on a ouvert aux Etats Unis, plus précisément à Massachusetts (au Nouveau-Mexique) une clinique d’avortements où l’on pratiquera – tenez-vous bien : « le sacrement de l’avortement ». Oui, toute personne souhaitant bénéficier de services d’avortement gratuits dans cette clinique, doit accepter de pratiquer le «rituel religieux d’avortement». Cette clinique a été promue par l’association le « Temple Satanique » reconnu en 2019 comme une « Eglise ». Le groupe ne cache pas son obédience au démon revendiquant à l’heure actuelle 100.000 adeptes.
Alors, le diable existe-t-il : oui ou non ?
« Cela fait longtemps que vous, les prêtres catholiques, vous ne croyez plus au diable. Alors, ne soyez pas surpris des violences qui rongent notre société » ! J’ai déjà entendu ce propos accusateurs. Dois-je pour autant croire au diable de la même manière que je crois en Dieu?
Remarquez, frères et sœurs, que le Credo ne parle pas du diable, mais du péché et de son pardon. Une foi au diable serait même contradictoire. Autrement dit, la chose la plus importante que la foi chrétienne a à nous dire à ce propos, ce n’est pas que le diable existe, mais que le Christ a vaincu le diable. Et c’est ça la bonne nouvelle du récit des tentations de Jésus au désert dont nous parle l’évangile de ce dimanche.
Avec le Christ nous n’avons rien à craindre. Rien ni personne ne peut nous faire de mal, si nous ne le voulons pas. Depuis la venue du Christ, Satan est comme un chien attaché. Il peut aboyer de toutes ses forces et tirer tant qu’il veut sur sa laisse, mais si nous ne nous approchons pas de lui, il ne peut pas nous mordre.
C’est ça la bonne nouvelle avec laquelle nous entamons notre marche de Carême vers Pâques. Au désert, Jésus s’est libéré de Satan pour nous libérer de Satan !
Père Stanislas