Jésus ne nous abandonne jamais

Solennité de l’Ascension – Mt 28, 16-20

Le cosmonaute russe Youri Gagarine (1934-1968), le tout premier homme à être allé dans l’espace, après son retour sur la terre aurait dit : « J’étais dans le ciel et j’ai bien regardé partout: je n’ai pas vu Dieu ».

Gagarine n’a certainement jamais entendu la dernière phrase de l’Evangile de cette fête : « Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Nul besoin donc de scruter le ciel pour trouver Dieu. Désormais, il est présent partout où se trouvent ses disciples. Et il est présent de bien des manières: dans sa Parole, dans les sacrements, dans les pauvres, dans les membres de nos familles ou nos communautés, dans la création qui s’offre à notre contemplation, et chaque fois que deux ou trois sont réunis en son nom. Encore faut-il s’entraîner à le reconnaître avec le même sérieux que ceux qui partent à la conquête de l’espace !

Chers frères et sœurs, tout au long de l’Évangile, nous nous sommes familiarisés avec le nombre de douze apôtres. Douze hommes, si différents les uns des autres, qui ont formé le premier noyau des disciples du maître.

Par contre, dans la scène finale de l’Evangile selon saint Mathieu que nous lisons en cette fête, une scène qui se passe en Galilée – dans le pays où tout a commencé – nous ne trouvons devant Jésus que onze apôtres. Pourquoi ?

Parce que ce groupe – comme dans toutes les histoires des hommes – a été secoué et déstabilisé. Ils ont connu de belles réussites mais aussi des échecs, des trahisons. Pourtant, c’est à cette communauté imparfaite que Jésus confie la mission (la tâche) de porter l’Evangile (sa bonne nouvelle) au monde entier : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples ».

Voyez-vous ! Jésus n’a pas honte de nos échecs et nos trahisons. Il nous prend tels que nous sommes, même à onze, car c’est précisément cette histoire de défaites qui rendra notre parole crédible. Nous raconterons aux autres non seulement nos belles réussites, succès et exploits.., mais aussi comment nous avons été aimés malgré nos échecs et malgré nos imperfections. Et c’est précisément pour cela que Jésus envoie ses apôtres. Ils sont envoyés pour apprendre aux autres comment se laisser aimer dans leur imperfection.

Chers frères et sœurs, dans cette scène de la dernière rencontre de Jésus avec ses apôtres, il y a aussi l’histoire de chacun de nous. En effet, l’évangéliste nous dit : « ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes ».

Nous aussi, nous rencontrons le Seigneur ; nous le reconnaissons dans notre histoire ; nous arrivons même à nous prosterner devant Lui, mais ce souvenir peu à peu devient flou, s’efface, s’estompe et nous revenons aux doutes. Cependant Jésus ne nous abandonne jamais. Il s’approche, il rappelle sa promesse et il nous envoie : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». 

Eh bien, cette promesse de Jésus est le fondement de toute mission. Toute la vie chrétienne se fonde à l’intérieur de cette promesse. En effet, si nous remontons au début de l’Évangile de Matthieu, nous trouvons les mêmes mots. Jésus nous est présenté comme « Emmanuel », c’est-à-dire « Dieu avec nous ». Oui, chemin faisant beaucoup de choses peuvent arriver : nous pouvons nous perdre, nous pouvons trahir et douter, nous pouvons tomber et nous relever, mais tout – du début à la fin – est contenu dans l’espace de cette promesse de Jésus: « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». 

Et encore une petite chose.

J’ai lu ce matin dans la presse que 12 millions de Français vont partir pendant ce week-end de l’Ascension dans des destinations ensoleillées. C’est un million de plus que l’an passé.

Reconnaissons-le humblement, l’Ascension en France est plus évoquée en raison du pont dont elle est l’occasion que selon sa véritable signification spirituelle. Le sens de la fête religieuse s’était perdu pour beaucoup depuis bien longtemps.

En effet, la fête de l’Ascension est très appréciée en France puisqu’elle tombe toujours un jeudi. On dit que « c’est un pont prisé du mois de mai »!

Rien n’empêcherait évidement la Conférence des évêques de France de décider que l’Ascension soit désormais fêtée un dimanche, comme c’est déjà le cas dans des pays très catholiques comme l’Italie, l’Espagne ou la Pologne. En effet, au cours des années 80/90, et avec l’accord du Vatican, les évêques de ces Églises ont décidé de fêter l’Ascension le dimanche, soit 43 jours après Pâques. Pourquoi? Par esprit civique, précisément afin « d’éviter un pont », et par là une cessation d’activité pour la société!

Je me dis, dans le contexte d’ultra-laïcité française qui chasse les croix même des portes des cimetières, il serait très intéressant d’observer les réactions politiques si l’Église de France décidait de ne plus fêter l’Ascension un jeudi!

Verrait-on quelques évêques de ce pays formuler cette idée ? Verrait-on une autorité civile/laïque se lever pour défendre la sauvegarde d’une fête pourtant très chrétienne? Ce serait bien amusant de voir ce débat!

Alors, le « pont de l’Ascension» ? Pourquoi pas, mais un pont qui relie nos existences à Dieu ; qui relie Dieu à l’humanité ; qui nous aide à vivre sur cette terre sans trahir le ciel ! Un pont qui nous permet d’élever notre regard, de garder confiance et de prendre en charge notre destinée. Sinon, il serait beaucoup plus honnête de parler « d’une dérobade de printemps ».

Père Stanislas